Soir de retenue [Terminé]

Soir de retenue

17 h 50

M. Adam m’avait demandé de m’occuper de la retenue qu’il avait remise au jeune Jonathan Black. J’avais alors donné rendez-vous à ce dernier à ma cabane à 18 h aujourd’hui. Il devait donc arriver d’une minute à l’autre. Je n’aimais pas particulièrement superviser les retenues, mais j’avais beaucoup de difficulté à dire non. N’étant pas professeur et n’ayant même pas fréquenté une école pour mes études, j’ai l’impression de devoir en faire plus pour me faire accepter au sein du personnel de Poudlard. M. Rubeus, lui, avait étudié à Poudlard. Malgré le fait que j’ai exercé le métier de garde-chasse pendant 40 ans, je dois avouer avoir le syndrome de l’imposteur. C’est irrationnel, je sais.

Pour me calmer les nerfs, le soir, j’avais l’habitude d’ajouter une dose d’absinthe à mon thé, mais pas ce soir. Je ne voulais pas risquer que le jeune serpentard le découvre. Je perdrais alors toute crédibilité. Non, je devais trouver un autre moyen de me détendre. Je me suis donc assis dans mon fauteuil, ma tasse de thé déposée sur la table d’appoint. J’ai étiré le bras vers ma bibliothèque pour y prendre mon roman préféré. Je me sentais déjà mieux.

Retenue

18 h 00

... il n’était question à l’Opéra que de ce fantôme en habit noir qui se promenait comme une ombre du haut en bas du bâtiment, qui n’adressait la parole à personne, à qui personne n’osait parler et qui s’évanouissait, du reste, aussitôt qu’on l’avait vu, sans qu’on pût savoir par où ni comment. Il ne faisait pas de bruit en marchant, ainsi qu’il sied à un vrai fantôme. On avait commencé par en rire et par se moquer de ce revenant habillé comme un homme du monde ou comme un croque-mort, mais...

Toc-toc-toc

Un bruit court et répété m’a fait sursauter. Quelqu’un cognait à la porte.

J’ai pris ma baguette et l’ai pointée vers celle-ci, qui s’ouvrit pour révéler le jeune homme qui attendait patiemment derrière. Sans me lever, je lui dis :

– Jonathan, entre, je t’en prie. Le thé est chaud, si tu veux t’en servir une tasse, tout est là.

J’ai attendu qu’il avance d’un pas avant de refermer la porte derrière lui, d’un autre mouvement de baguette.

– Viens, assieds-toi.

Retenue

Toujours assis dans mon fauteuil, j’ai rangé mon livre sur une tablette de la bibliothèque. Après être entré, le jeune Jonathan est venu s’asseoir face à moi. Il avait l’air tendu et méfiant. Tous ses sens semblaient aux aguets, comme s’il était en attente d’un danger imminent. Comment pouvait-on avoir l’air si confiant, et être aussi farouche à la fois? Cela m’amusait de voir tous ces élèves qui croyaient qu’une retenue devait absolument être désagréable. J’ai regardé partout autour de moi, comme si je cherchais quelque chose, puis, avec une voix qui se voulait rassurante, je lui ai dit :

– De quoi as-tu peur? Je ne vais pas te pétrifier, tu sais! Tu peux te détendre, tu ne cours aucun danger ici. Bon, dis-moi, d’où te vient ton intérêt pour les animaux qui vivent dans la forêt de l’école?

Retenue

C’était rafraîchissant de voir un jeune homme avec une telle soif de savoir. Il me rappelle un peu moi quand j’avais son âge. Par contre, quelque chose me semblait incohérent dans son discours :

– À n’importe quel prix?

Quel étrange raisonnement...

– Tu comprends que si tu avais respecté les règles, et évité la retenue de ce soir, tu serais en ce moment ailleurs, en train d’apprendre quelque chose d’intéressant, plutôt que de perdre ton temps avec le vieillard que je suis? Ton calcul semble erroné, mon garçon... Il s’agit là d’une belle perte de productivité...

Je ne lui ai pas donné le temps de répondre, je savais qu’il comprenait.

– Mais bon, puisque nous sommes là, que veux-tu apprendre ce soir?

SOIR DE RETENUE

– Si ma mémoire est bonne, et elle l’est, M. Adam ne t’a pas donné cette retenue pour avoir voulu observer les centaures, mais bien pour avoir tenté de quitter une deuxième fois ta chambre dans la même soirée. Tu n’apprendras pas à un vieux singe comme moi à faire la grimace, jeune homme. De plus, mes consommations alcoolisées ne te regardent guère. Mais, puisque cela semble t’intéresser, sache que l’absinthe a été interdite dans quelques pays seulement, dont les Royaumes-Unis ne font pas partie, et qu’aujourd’hui elle est parfaitement légale à travers le monde. Je comprends mal comment le fait d’apprendre qu’un vieil homme boit de l’alcool pour se détendre peut-être qualifié d’autre chose que d’une perte de temps. Bref, si vous voulez en apprendre davantage sur les sombrals, je vous conseille de commencer par lire ceci.

J’ai parcouru des yeux les rayons de ma bibliothèque, puis, ayant trouvé ce que je cherchais, j’en ai retiré un livre, que  j’ai tendu à Jonathan. Il s’intitulait :



– Celui-là, tu ne le trouveras pas à la bibliothèque de l’école, c’est un exemplaire assez rare qui provient de ma bibliothèque personnelle. Tu me le ramèneras quand tu l’auras terminé. – J’ai regardé l’heure sur ma montre de poche. – Cela dit, c’est bien beau la théorie, mais rien ne vaut la pratique. Tu veux aller voir les sombrals?

SOIR DE RETENUE

Décidément, le jeune Jonathan tenait vraiment à avoir le dernier mot. Que cela en soit ainsi, si cela l’amusait. De plus, c’est précisément pour cette raison que j’appréciais tant vivre dans ma propre cabane : pour pouvoir y faire ce que je veux sans pour autant déranger les autres. En revanche, cela m’amusait beaucoup de le voir ainsi perplexe.

– Une chose qui semble avoir échappé à ton sens de l’observation aiguisé, c’est que je ne suis pas un professeur! On m’a demandé de te donner une retenue, ce que je fais, mais j’ai le loisir de la superviser comme bon me semble. Et si tu me demandais mon avis sur le sujet, je te répondrais probablement que je ne suis pas en accord avec le principe des retenues. Elles ne sont ni constructives ni positives, deux concepts que je valorise beaucoup dans l’éducation. Préférerais-tu que je te fasse recopier 250 fois «Je ne sortirai plus de mon dortoir après le couvre-feu»? Si c’est le cas, dis-le-moi tout de suite, j’arrêterai de perdre mon temps avec toi. Sinon, prends tes affaires et suis-moi.

Sans attendre, je me suis alors levé. J’ai enfilé ma veste, j’ai pris mon sac, puis je suis sorti de la cabane. J’ai marché environ 300 mètres vers le nord, en direction de l’écurie qui avait été construite en bordure de la forêt. À l’extérieur de cette bâtisse, un grand espace clôturé faisait office d’enclos. J’ai déposé mon sac par terre, me suis croisé les bras et les ai appuyés sur le dessus de la clôture de bois. J’ai pris quelques secondes pour contempler ces magnifiques bêtes. Ces chevaux ailés au crin noir étaient à la fois squelettiques et forts.

– Jonathan, je te présente les sombrals!

SOIR DE RETENUE

Je voyais enfin un peu d’ouverture de la part du jeune Jonathan! Ces enfants qui se veulent froids et mystérieux, trouvez ce qui est le plus cher à leurs yeux, obtenez-leur et ils s’ouvriront devant vous comme fleur au soleil!

– Oh-là! Du calme! Premièrement, sache que tu es le bienvenu ici et que tu peux y revenir quand bon te semble. Cet endroit est toujours très calme, car comme tu peux le constater, il n’est pas visible de l’école. Et puis de toute façon, les quelques élèves qui l’ont trouvé ont cru qu’il était abandonné, ne pouvant pas voir les bêtes. Mais avant de continuer, nous devrions nous mettre au travail.

J’ai repris mon sac de randonnée. Il était de grande taille, mais, grâce à un enchantement, pouvait contenir beaucoup plus qu’il pouvait le laisser croire. J’ai mis ma main à l’intérieur, farfouillant à tâtons. Mais où est-ce que je vous ai mises? Après un instant, comprenant que ce que je cherchais devait être plus profondément enfoui, j’y ai enfoncé mon bras, d’abord jusqu’au coude, puis jusqu’à l’épaule. Encore quelques instants, puis... Ah! Je vous tiens! J’ai retirai mon bras du sac en en retirant une pelle, puis, j’en ai sorti une deuxième. J’en ai lancé une en direction de Jonathan.

– Tiens, prends ça. Tu veux savoir ce que les sombrals mangent? La meilleure façon de savoir ce qui entre dans un animal, c’est d’observer ce qui en ressort. L’enclos doit être nettoyé. Tu vois toutes ces bouses? Nous allons les prendre et les balancer sur le tas de fumier que tu vois au fond là-bas. Il y a des bottes et des gants de travail dans l’écurie si tu en ressens le besoin. Allez-hop! Au boulot! — J’ai ouvert le portail — Entre, tant que tu es avec moi ils vont te laisser tranquille.

SOIR DE RETENUE

Pendant les minutes qui ont suivi, nous avons discuté des sombrals, tout en travaillant.

– Ils mangent principalement des légumes, qui viennent en partie de mon potager. J’ai aussi posé des pièges à lièvres dans la forêt, et quand j’en attrape, j’en garde une partie pour mon ragoût et donne le reste aux sombrals. Ils adorent la chaire de lièvre. Ce qu’on m’a raconté, c’est qu’avant, une colonie de sombrals vivait librement dans la forêt. À une certaine époque, devenant trop nombreux, leur cohabitation avec les centaures est devenue difficile. La communauté des centaures a alors conclu un accord avec l’école. Poudlard devait trouver un moyen de les garder hors de la forêt, sinon les centaures les élimineraient. Ils ont donc construit ce grand enclos. Certains ont été attirés jusqu’ici, d’autres, plus farouches, ont dû être capturés et emmenés de force. L’école en a toujours pris grand soin. Ils sont maintenant très heureux de vivre parmi nous. Depuis quelques années, avec l’accord des centaures, quelques sombrals ont été relâchés dans la forêt pour recommencer le repeuplement, de façon graduelle et contrôlée.

Après une trentaine de minutes, nous avons terminé le nettoyage de l’enclos. J’ai rangé les pelles dans l’écurie, puis je suis allé rejoindre Jonathan. J’ai posé ma main sur son épaule et lui ai dit :

– Tu as fait du beau travail, le jeune. Tu peux être fier de toi. Je dirai à M. Adam que ta retenue s’est très bien déroulée. Je te libère, tu es libre de retourner vaquer à tes occupations si tu veux. Moi je reste ici encore un peu. Je dois nettoyer les pelles et les sombrals doivent être brossés.

SOIR DE RETENUE

Brosser les sombrals était pour moi un moment très spécial. Un moment pendant lequel le poids de mon âge et les douleurs du passé semblaient s’envoler. Un moment pendant lequel personne n’avait d’attente envers moi et pendant lequel je n’avais ni devoir ni responsabilité envers personne. Un moment de méditation et de recueillement. J’avais besoin de conserver ce moment pour moi, et moi seul. De plus, je sentais bien que le jeune Jonathan me proposait son aide pour pouvoir continuer à observer les sombrals de près, bien plus que pour m’aider.

– Non, ce ne sera pas nécessaire, merci. Comme tu me l’as si bien dit, une retenue se doit d’être un minimum punitif. Alors, retourne à l’école et profite de ce temps pour commencer la lecture du livre que je t’ai prêté.

J’avais prononcé ces paroles fermement et calmement. J’espérais qu’il n’insiste pas. Je ne voulais pas être brusque avec lui, mais il devait comprendre.

SOIR DE RETENUE

Je voyais bien que le jeune Jonathan était contrarié. Je l’aurais été tout autant à sa place.

– Bonne soirée, Jonathan.

Il s’en alla vers l’école. J’étais satisfait de mon intervention avec lui. Je crois avoir réussi à établir un contact avec lui, ce qui, au dire des professeurs l’ayant côtoyé, n’est pas chose aisée. J’espère qu’il tirera quelques bonnes leçons de cette soirée qui, je le souhaite, aura été positive et constructive pour lui.

Mes amis les sombrals, je viens m’occuper de vous maintenant...